Bretagne : souvenir, travail et concession

Avant Cancale, c’est à Rennes que je me suis arrêté. J’adore cette ville. Son histoire, son incarnation d’une Bretagne à la fois solide et frondeuse.

Je ne compte plus le nombre de mes déplacements dans cette région. Les vacances de mon adolescence bien sûr mais surtout ces six mois de stage lorsqu’ à 23 ans, l’ENA avait eu l’idée bizarre (et franchement excellente) d’affecter le parisien que j’étais à la coopérative agricole de Landerneau.

Six mois pour me permettre de parcourir la Bretagne dans tous les sens à la rencontre des producteurs, cultivateurs, éleveurs, mais aussi des sites de surgélation de légumes, et de toute la chaîne agroalimentaire de la région.

C’était en 1987, autant dire un siècle.

Je n’ai jamais oublié les gens de Landerneau. Pour des raisons qu’un jour je vous raconterai, ils ont forgé une part essentielle de mon identité politique.

C’est à Cesson, dans la banlieue de Rennes, que j’ai passé un long moment avec un entrepreneur dont j’ai aimé dès la première minute le style direct et la personnalité attachante. Verbe haut, rire communicatif. Regard bleu et voix posée.

Concessionnaire Volvo à Cesson. Pourquoi Volvo ? »Quand on roule en BMW on est content de soi, quand on roule en Volvo on est content de sa voiture »me répond-il. J’adore !

Laurent Defrance. Quelle chance de porter ce nom. En politique, ce serait la réussite assurée…

La première personne dont il me parle, c’est de son père, et singulièrement des mois qui ont précédé sa disparition après une rude maladie. Très touchant. Quand je le peux, j’essaie toujours d’interroger mes interlocuteurs sur leurs parents. Ce qu’ils en disent est toujours éclairant. Le sien semble avoir eu comme lui une forte personnalité.

L’entreprise familiale date de 1885. Photo jaunie dans le bureau : on y faisait du charbon et bois. Là ce n’est pas un siècle mais plutôt un millénaire… Puis la station-service BP au centre de Rennes. Puis la première concession Volvo. Puis au cœur de la crise automobile, la fondation à Cesson d’un puissant »auto pôle » regroupant plusieurs concessions sur une seule zone, démultipliant activités, synergies, chiffres d’affaires et créations d’emplois et de formations dans de nombreux métiers.

La concession est rutilante. Visite de l’atelier. Échange avec deux mécanos qui coachent des jeunes en apprentissage. Je sens ces derniers motivés. Pour eux, la solidité du cursus ne fait aucun doute : ils sont soucieux du diplôme mais d’abord conscients de posséder un métier. Tout est dit.

M. Defrance m’entraîne dans son bureau. Je m’attends à la séquence revendicative type MEDEF. En fait, c’est du salaire net après impôts de ses salariés dont il veut me parler.

J’ai eu beau connaître de la réalité de ces chiffres depuis des années, la démonstration est toujours aussi accablante pour l’économie française et décourageante pour ceux qui travaillent.

Un seul exemple : un des employés du chef d’atelier, 22 ans d’ancienneté perçoit 2900 euros brut (qui coûte 4300 euros après charges à son employeur). Il lui reste 2100 euros en bas de feuille de paye. Mais la soustraction continue : après impôt /revenu et impôts locaux (et avant TVA) il se retrouve avec 1400 euros par mois.

A quelques encablures du smic.

Celui qui se trouve sans travail et bénéficie du RSA et d’une allocation logement est aussi assez proche du smic me rappelle-t-il… D’autant qu’il n’est pas imposable.

Droite comme gauche depuis 20 ans, personne n’est parvenu à sortir la France de cette impasse désormais intenable…et unique en Europe. Cette réalité est une des raisons qui explique que notre pays se fissure en silence. Tout le monde le sait, tout le monde le dit en off…et tout le monde cale lorsqu’il faut prendre la décision.

Grande leçon d’humilité pour les décideurs politiques. Très salutaire quand on traverse le désert et qu’on prend tout son temps pour méditer sur le sens que l’on veut donner à son silence !

M. Defrance est un homme heureux, chaleureux, positif. Les questions qu’il pose sont celles du bon sens. Y répondre, le moment venu, c’est imaginer les conditions d’un « sursaut Français ».

A très vite.

Jfc

PS : en parcourant le dernier numéro du magazine "Psychologie" (dont je recommande la lecture) je tombe sur l’interview intéressante et assez émouvante de Melissa Theuriau. Elle y parle de son enfance, de son histoire d’amour avec Jamel, le mélange des cultures, des religions, de façon harmonieuse et tellement tolérante. Évoquer sans langue de bois les ombres. Mais ne pas passer sous silence les zones de lumières. Elle évoque par ailleurs les travaux de l’américain Martin Seligman sur la psychologie positive. Passionnant. A creuser…

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