Les frères Vizcaïno

Je les ai rencontrés à Saint-Priest, du côté du Grand Lyon. Entre mon déplacement dans le Nord et celui dans la Nièvre. Dominique et Pedro Vizcaïno dirigent Mondial Frigo, leader français dans l’industrie du froid. Quand Dominique a racheté l’entreprise en 1975, elle valait 200 000 francs… Aujourd’hui elle pèse 75 millions € de chiffre d’affaires pour 360 employés et se lance à l’export notamment en Afrique de l’Ouest, qui bénéficie d’une croissance à deux chiffres. Une réussite basée sur le choix de l’innovation dès 1976 (avec une cellule de R&D), la spécialisation dans le froid industriel et le pari progressif de l’international. Bravo !

Et pourtant, ce succès n’avait rien d’évident. Ils me racontent leur parcours. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils ne sont pas nés avec une petite cuillère en argent dans la bouche ! Dominique est un pudique. Un peu « taiseux ». Je le sens. Les mots sortent lentement. Pensés, pesés, mesurés. Chargés d’émotion. Pedro, lui, est plus disert. Tous deux me parlent de leur père. Orphelin de la guerre d’Espagne. Analphabète. Arrivé en France pour fuir la misère. Gagnant sa vie dans la région lyonnaise, courageusement, en tant que maçon. Ils me disent sa droiture. Sa volonté d’offrir à ses enfants un meilleur destin que le sien. Son combat pour les élever dans l’amour du travail, du dépassement de soi, du pays d’accueil. « Ah ça, il ne fallait pas critiquer la France à la maison ! » C’est cette éducation pleine de rectitude qui les a sauvés quand d’autres de leurs camarades des quartiers de Saint-Priest ont pu connaître des trajectoires moins rectilignes.

Dominique a fait des études d’ingénieur frigoriste avec le talent que l’on connaît. Pedro, lui, était doué pour le foot. Gardien de but, il est devenu professionnel. Il a notamment été de la grande équipe du Sporting Toulon Var montée en division 1 en 1983. Il a joué avec quelques cadors de l’époque comme Roland Courbis, Laurent Paganelli et le « goleador » Delio Onnis, meilleur buteur de l’histoire du championnat de France… J’ai le sentiment de tourner avec lui les pages des albums Panini de notre jeunesse. Impressionnant ! Sa carrière fait rêver mais il m’en parle avec humilité. Je lui demande pourquoi il n’est pas resté dans ce milieu. Il me répond qu’il jouait pour « s’amuser » pour les « potes », l’esprit d’équipe. Il ne se retrouve plus vraiment dans ce que le foot est devenu. Il critique notamment ces centres de formation qui arrachent les jeunes, à peine adolescents, à leurs familles et se soucient plus d’en faire de futures machines à cash que des hommes « complets », prêts à affronter les difficultés de la vie s’ils ne percent finalement pas dans le foot. D’ailleurs, quand il était joueur, il savait très bien qu’il voulait revenir travailler dans le privé. C’est ainsi qu’il s’est reconverti sans problème et a aidé son frère à faire grandir mondial frigo.

Bref, des modèles d’intégration, d’intelligence et de réussite sociale comme économique. Preuve que l’on peut être fils d’immigrés, aimer la France, y construire sereinement sa vie y faire de grandes et belles choses. Les frères Vizcaïno s’interrogent tout de même (et ils ont de quoi, le terroriste de Saint-Quentin-Fallavier était originaire de leur ville de Saint-Priest) : « pourquoi a-t-on le sentiment qu’il y a quelque chose de cassé dans notre société ? Que la réussite qui fut la nôtre ne serait pas forcément possible aujourd’hui ? Que la machine à intégrer et l’ascenseur social se sont grippés ? Est-ce que c’est la République, l’Ecole, les familles qui ont failli ? » Un peu des trois sans doute… L’autorité de l’Etat a tellement reculé depuis 40 ans !

Une chose est sûre, il n’y aura pas de sursaut français possible sans politique d’intégration efficace. La France implosera comme une cocotte-minute si ses enfants d’origine immigrée ne se sentent pas français où n’imaginent pas leur avenir sur notre sol. Il nous faut permettre l’éclosion des Vizcaïno du 21ème siècle !

Qu’en pensez-vous ?

A bientôt,

Jean-François Copé

Photo : Dans les bâtiments de Mondial Frigo à Saint-Priest, avec Pedro et Dominique Vizcaïno

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