Syrie : la 3ème Guerre mondiale aura-t-elle lieu ?

Certains experts se plaisent à agiter dans la presse le chiffon rouge d’une 3ème Guerre mondiale. Leur argumentation est simple : la Russie de Vladimir Poutine est engagée sur le terrain syrien, aux côtés d’Assad, face à Daech et surtout face aux rebelles « modérés » soutenus par les Etats-Unis. Pour la première fois depuis la première guerre d’Afghanistan l’armée russe combat donc des forces soutenues par les occidentaux, ce qui pourrait dégénérer en conflit planétaire.

Pour ma part, même si le pire doit toujours être envisagé avec vigilance, je trouve cette approche sensationnaliste. Excessive. Erronée. D’abord parce que cette analyse, basée sur une vision binaire de la géopolitique, est datée. Elle convenait au 20ème siècle, aux conflits est/ouest. Elle est obsolète dans le monde multipolaire du 21ème siècle. Sans rien ignorer des affrontements sourds, qui opposent parfois Russes et Américains, il faut arrêter de penser avec le logiciel de la guerre froide.

Ensuite, parce que, si ce conflit est mondialisé, il n’a pas de raison de devenir mondial. Certes cette guerre implique de multiples nations (Iran, Russie, Etats-Unis, Turquie, Irak, Arabie saoudite…). En cela, elle est à échelle mondiale. Certes cette guerre a des ramifications au Yémen ou au Liban. Certes Daech, l’un de ses protagonistes, a commis des attentats à Paris et en Turquie. Pour autant, ce conflit reste quasi exclusivement circonscrit aux territoires syrien et irakien. Rien n’indique que des lignes de front pourraient se former ailleurs qu’au Levant ! Et si les grandes puissances se sont réunies ce 30 octobre à Vienne pour discuter de la Syrie, c’est qu’elles n’ont aucune volonté d’importer chez elles ce terrible conflit, mais, au contraire, de trouver une issue politique.

Finalement, cette approche sensationnaliste du conflit syrien cache la seule question qui vaille, la seule question qui fâche : quelle est la stratégie de la France, et plus largement, de l’occident en Syrie ?

Car le problème est bien là : notre politique est illisible. Au moment où s’achève, sans avancée notable, le premier jour de la conférence de Vienne, capitale pour l’avenir de la Syrie, et face aux atermoiements de la diplomatie française, je souhaite partager avec vous mon analyse.

Jusqu’à présent la France, de concert avec les Etats-Unis, défend la ligne du « ni Assad – ni Daech ». Cette ligne, sur le papier, peut avoir du sens tant Assad et Daech se sont fait la courte échelle dans la monstruosité. En pratique, cette ligne a échoué car elle a pour impératif de faire émerger une alternative démocratique crédible à Daech et à Assad… Or, les vrais « modérés » n’existent pratiquement pas. La troisième force sur le terrain est celle de « l’armée de la conquête », constituée du Front al Nosra, qui a fait allégeance à Al Qaida, et d’Ahrar al Sham, d’obédience salafiste qui assume vouloir imposer la charia… En clair, dire « ni Assad, ni Daech », c’est dire oui à Al Qaida… Insensé ! Cette position est intenable. Où est la cohérence quand nous frappons Daech, mais soutenons de fait, avec l’aide des pétromonarchies, Al Qaida en Syrie ? Et c’est bien parce que cette position est ambiguë que Vladimir Poutine a pu avancer aussi facilement ses pions.

Pour ma part, je plaide donc pour que la réunion de Vienne soit l’occasion pour la France de changer de ligne sur la Syrie. Ce nouveau discours pourrait tenir en 4 points :

  1. En diplomatie, il faut savoir hiérarchiser les ennemis. La menace n°1, comme je l’ai écrit avec Antoine Sfeir, c’est Daech qui déstabilise la région, extermine les minorités, fait fuir par millier les Syriens vers l’Europe et commandite des attentats sur notre sol. N’oublions pas que Daech a déclaré la guerre à la France, pas Assad. Il faut donc abandonner le « ni Assad-ni Daech », concentrer nos forces sur l’éradication de l’Etat islamique et stopper le soutien aux belligérants qui se réclament d’Al Qaida. Même si cela doit se manifester par un renforcement des positions du régime syrien.
  2. La question Assad, en dépit de l’horreur des actions perpétrées contre son peuple, doit être gérée avec pragmatisme. En effet, il ne fait aucun doute pour moi que cet homme a le sang de dizaines de milliers de ses compatriotes sur les mains et qu’il devra un jour en répondre. Mais refuser toute discussion avec lui ou faire de son départ un préalable à toute négociation est voué à l’échec. Le but de la diplomatie n’est pas de parler entre amis –il y a des repas de famille pour cela ! – mais bien de s’assoir autour d’une table pour discuter avec des personnes que l’on juge totalement infréquentables, si l’on considère que nos intérêts sont en jeu et que leur défense commande cette discussion. Roosevelt et Churchill ont bien choisi l’alliance avec Staline, déjà identifié comme responsable du décès de millions de personnes, pour terrasser Hitler… Ne commettons pas les mêmes erreurs qu’en Irak ou qu’en Libye. Pour reconstruire la Syrie, nous devrons nous appuyer sur les structures encore existantes de l’Etat baasiste.
  3. La Russie et l’Iran doivent être traités comme des partenaires à part entière. Nous ne pouvons continuer à considérer que le Qatar et l’Arabie Saoudite, peu réputés pour leur respect des libertés, sont des interlocuteurs valables tout en affirmant qu’il ne faudrait pas dialoguer avec l’Iran et la Russie, au motif qu’ils ne respectent pas les droits de l’homme…
  4. Les dossiers connexes du Yémen (où une guerre moins médiatisée mais tout aussi atroce qu’en Syrie implique l’Iran et l’Arabie saoudite) et de l’Ukraine (qui oppose la Russie et l’Europe) ne doivent pas être oubliés tout en étant traités séparément pour plus d’efficacité. L’anéantissement de Daech doit être la priorité absolue de la réunion de Vienne !
    Les discussions de Vienne sont une opportunité pour enfin infléchir notre ligne diplomatique vers un sens plus réaliste, plus indépendant, plus libre, plus en accord avec nos intérêts et nos valeurs. Il n’y aura pas de sursaut français tant que l’on ne fera pas de notre diplomatie un instrument de souveraineté…

Qu’en pensez-vous ?

A très bientôt,

JFC

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