« Gaspard président »… Réflexions libres sur la fonction présidentielle

J’ai regardé en replay le documentaire « à l’Elysée, un temps de président » tourné durant 6 mois par Yves Jeuland auprès de François Hollande. Sentiment de malaise, de banalisation et de rabaissement de la fonction présidentielle… Je m’empresse de dire que le travail du cinéaste n’est pas en cause. Le sujet est bien mené. Les images sont belles, le rythme narratif excellent. Je ne doute pas que ce reportage ait eu de l’intérêt pour tous ceux qui n’ont jamais eu l’occasion de pénétrer dans la machine élyséenne. Je ne nie pas non plus qu’au 21ème siècle la communication et la transparence, quand elles ne tournent ni au déballage ni au voyeurisme, soient des vertus nécessaires y compris dès lors qu’il s’agit de présenter la personnalité d’un dirigeant.

Mais franchement, s’il s’agissait d’un vrai exercice de transparence (et je ne veux pas croire que le documentaire tienne de la mise en scène), alors on s’étonne et on s’inquiète que le quotidien de la tour de contrôle de la 6ème puissance économique mondiale soit rythmé par une telle vacuité, par une forme de légèreté bonhomme où « Gaspard », l’omniprésent communicant du président, tient finalement le rôle principal à l’image d’un marionnettiste. Je pense par exemple à la séquence sur le remaniement ministériel qui tourne autour de l’unique question – totalement décalée au regard des enjeux de la France – de savoir si le camarade de promotion du communicant présidentiel et par ailleurs ami du secrétaire général de l’Elysée va bien rentrer au gouvernement… Consternant. Chômage, croissance, sécurité, terrorisme : toutes les préoccupations quotidiennes des Français semblent reléguées très loin, après ces considérations assez puériles.

Nous avons ainsi sous les yeux le fonctionnement d’une présidence où tout semble scénarisé, régi par le culte de la médiatisation. Tout ceci dégage à la fois une très grande impression de fausseté et une très grande interrogation sur la nature de l’exercice réel du pouvoir. D’ailleurs, les trois moments forts du film ne doivent rien au communicant, mais tout à la spontanéité et à l’authenticité des « vrais gens ». Je pense au poignant discours de l’otage Serge Lazarevic sur la liberté, à l’immense dignité de la famille d’Ahmed Merabet le policier tué dans la rue par les frères Kouachi, ou encore à la beauté sobre et profonde de la cérémonie d’hommage aux victimes des attentats dans la Synagogue de la Victoire le 11 janvier…

Au final, que dévoile cet inquiétant documentaire aux Français ? Il nous montre un président sans stratégie ni vision, obsédé par la communication et prisonnier du court terme. Plus parolier que Chef de l’Etat… C’est l’esprit même de la Vème République qui est malmené. Imagine-t-on Charles de Gaulle ou Georges Pompidou voire François Mitterrand se donner en spectacle à la télévision constamment cornaqués par un vibrionnant conseiller presse ? Non. Ils avaient une autre conscience de l’écrasante charge que représente le commandement de la France par le Président « placé au-dessus des partis ».

Ce film n’est pas anecdotique mais participe d’un processus de désacralisation de la fonction présidentielle. Il nourrit la crise de l’autorité et de la crédibilité politique. « Autant faire sans la politique, si celle-ci se résume à bien lire un prompteur » doivent se dire nombre de Français ! Quand l’image supplante la réflexion, la communication tue l’action. Dans une période où la légitimité du pouvoir politique est concurrencée de toute part, je crois qu’avoir souhaité la réalisation de ce documentaire est une faute politique de la part de l’Elysée.

Pour être honnête il serait injuste de se contenter de jeter la pierre au seul François Hollande. La désacralisation de la fonction politique ne date pas de lui. Trop souvent, moi aussi, dans les missions qui ont été les miennes notamment en tant que président de l’UMP, j’ai donné l’image de quelqu’un de trop accaparé par la sur-communication. Plus largement, le mouvement de banalisation de l’exercice du pouvoir et le mélange des genres se généralisent dans les démocraties représentatives. J’éprouve aussi un malaise quand je vois Barack Obama participer à un clip vidéo, certes assez drôle, mais qui, en fait, accroit son image d’homme faible à un moment où la politique qu’il mène paraît faible justement. Quand la politique se réduit à un « show », elle devient un objet commercial comme un autre et non plus l’objet du service de l’intérêt général. Elle cherche plus à séduire une « audience » qu’à incarner la souveraineté populaire. Le seul « storytelling » que devrait se permettre un dirigeant doit être celui du roman national, pas une projection narcissique de sa personne à travers les institutions.

La force de la Vème République réside dans sa verticalité, dans le rôle clé du Président, Chef incontesté de l’Etat. Au Président de la République revient la responsabilité de l’incarnation, de la stratégie, de la décision, de la vision qu’il établit, fonde et construit en lien direct et en partage avec les Français. Au Premier ministre incombe le déploiement opérationnel des choix du Président et de la communication. L’une des raisons du malaise français tient à la confusion de ces deux rôles précis ainsi qu’à la perte progressive de l’aptitude au commandement des gouvernants qui a mené au délitement du sens de l’autorité, du mystère, de la retenue, du sacrifice. Le temps doit être désormais à la réévaluation de la fonction présidentielle et à sa réinscription dans le long terme. Il n’y aura pas de sursaut français sans Président fort.

Qu’en pensez-vous ? N’hésitez pas à me faire de part votre regard et de vos propositions sur cette question essentielle pour moi !

A très bientôt,

JFC

PS : pour vous faire une opinion, si vous n’avez pas vu le documentaire en question : http://pluzz.francetv.fr/videos/a_l_elysee_un_temps_de_president_,128646082.html

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